Pierre Dagard (CSA): La protection du jeune public figure au cœur des missions attribuées au CSA par le législateur français

12.08.2019, ein Beitrag von

La protection du jeune public figure au cœur des missions attribuées au CSA par le législateur français et ce, depuis les premiers temps de la régulation audiovisuelle, à la fin des années 80. Le CSA est l’autorité publique indépendante de régulation des médias audiovisuels en France. La première de ses missions est de garantir la liberté de communication audiovisuelle (c’est l’article 1er de la loi audiovisuelle française) dans les limites fixées par la loi. La liberté de communication n’est pas absolue est peut être restreinte à condition que des impératifs d’intérêt général, tels que la protection du jeune public (enfants et adolescents), le justifient.

Dans ce domaine, le CSA a pour mission de veiller à ce que les programmes diffusés à la télévision et sur les services de vidéos à la demande respectent un certain nombre d’exigences, au premier rang desquelles figure, par exemple, le respect d’une signalétique jeunesse permettant d’indiquer aux téléspectateurs qu’un programme n’est pas adapté au public d’un certain âge. C’est dans ce cadre, brièvement rappelé ici, que le CSA a adopté des recommandations et exercé ses pouvoirs en privilégiant le dialogue et la concertation, mais en ayant recours à des sanctions si nécessaire, dans le but de garantir la protection de la jeunesse sur les services de télévision puis, à partir de 2011, sur les services de médias à la demande.

Je ne vais pas, ici, me lancer dans un récit exhaustif de toutes les règles que le CSA veille à appliquer au quotidien, ce serait un exercice un peu long et trop technique. Je vous propose plutôt, ainsi que le titre de ce panel m’y invite, à partager avec vous quelques réflexions sur la liberté des médias et la protection des publics à l’ère numérique. « Liberté » et « protection » sont au cœur des modalités d’action du régulateur : il s’agit, c’est notre conviction profonde, de sujets pour lesquels les régulateurs peuvent utilement apporter leur éclairage sur l’ampleur des défis à relever et ainsi contribuer à esquisser un nouveau modèle de régulation des plateformes de contenus et des réseaux sociaux sur Internet.

En France, ce dernier est actuellement en train de voir le jour à l’initiative du législateur, seul habilité à définir le périmètre d’action du CSA. Il s’articule autour de trois notions essentielles : la LEGITIMITE, des MOYENS appropriés, et un CADRE de régulation pertinent.

D’abord, la LEGITIMITE.
A l’égard de la protection du jeune public face aux contenus préjudiciables, et en ce qui concerne la régulation des contenus de manière générale, beaucoup de choses ont déjà changé.
D’abord, l’Internet s’est imposé comme une évidence absolue, en particulier chez les jeunes générations qui, en dépit des incidents qui émaillent régulièrement l’actualité, font une confiance parfois quasi-aveugle à leurs outils numériques du quotidien. Une partie des jeunes générations oublient ainsi presque que ce réseau de réseaux ne va pas sans présenter des risques. Ces risques et ces menaces, qui se sont gravement généralisés sur les réseaux numériques, nous obligent. Ils nous obligent à différencier le discours sur l’Internet et à être lucides – volontaristes mais lucides. La réalité est qu’on ne peut plus se contenter de défendre, de manière absolue, la liberté de communication en ligne en supposant que les contenus qui circulent sont forcément de qualité et, notamment, que les risques d’exposition des mineurs à des contenus choquants ou dangereux sont négligeables.

Les gouvernements, les opinions publiques et, de plus en plus, les plateformes de contenus elles-mêmes, ont déjà pris conscience de ce constat et c’est ainsi qu’émerge, depuis quelques années, une attente sociale légitime en faveur d’une régulation et d’une responsabilisation accrue des principales plateformes de contenus sur internet.

Avant d’aborder les moyens et le cadre dans lesquels la protection des mineurs sur Internet pourrait être efficacement mise en œuvre – ce qui ne va pas sans soulever de nombreuses questions – il me semble utile, à ce stade, de ne pas donner l’impression de céder à une vision trop caricaturale des termes du débat. En effet, en appelant à plus de régulation de l’Internet, le risque symétrique serait qu’au nom de la protection de certaines valeurs, on rende l’Internet liberticide. Ce n’est évidemment pas l’objectif qui doit être poursuivi.

Entre « protection » et « liberté », nous n’avons pas à choisir l’une ou l’autre. Nous devons justement sortir de cette fausse alternative, cette idée selon laquelle il n’existerait que deux modèles : celui, d’un côté, d’une totale autorégulation dont on constate, depuis quelques années, les limites ; et celui, de l’autre, d’un Internet totalement cloisonné et entièrement surveillé par des Etats autoritaires.

Le « tiers modèle » auquel nous croyons est celui d’un « Internet de la confiance », c’est-à-dire un espace à la fois libre et ouvert mais qui ne nous empêche pas, nous Européens, de faire respecter nos règles, de protéger nos valeurs, quand bien même il s’agit d’un espace que nous ne dominons pas d’un point de vue strictement économique. Il nous faut ainsi assumer – y compris face à des acteurs privés, forts, mondiaux, qui sont des acteurs incontournables de cet espace numérique mais à qui nous ne saurions remettre la totalité de nos décisions – notre vision commune de la protection des publics, et en particulier de la jeunesse. La confiance dont il est question, c’est la confiance des citoyens européens dans la capacité de leurs autorités publiques à les protéger et à préserver les chances de leurs enfants d’interagir et apprendre dans un environnement numérique sûr. C’est ce qui fonde notre LEGITIMITE à agir.
Ensuite, j’en viens aux MOYENS.

Ce « tiers modèle » ou « nouveau » modèle de régulation repose sur une responsabilisation croissante des principaux acteurs du numérique et, corrélativement, sur une adaptation des missions du régulateur.

Premièrement, la responsabilisation des plateformes de contenus et des réseaux sociaux doit être à la mesure de leur rôle et de leur impact : les plateformes de contenus les plus importantes doivent supporter plus de responsabilités que les autres. Elles doivent répondre à des objectifs d’intérêt général, comme la protection des mineurs. A ce sujet, notre analyse tant au CSA qu’au sein de l’ERGA (le réseau des régulateurs européens de l’audiovisuel) montre que certaines ont déjà déployé des efforts non négligeables. Cependant, ceux-ci doivent se poursuivre tant que les mesures prises ne seront pas de nature à apporter suffisamment de garanties.

Deuxièmement, parce que ces dernières années, l’autorégulation a montré ses limites, il faut que la mise en œuvre de ces mesures protectrices soit placée sous le contrôle d’un tiers de confiance, c’est-à-dire un régulateur indépendant. La vocation de ce régulateur est donc davantage de superviser, ex-ante, les processus et les dispositifs de modération de contenus mis en place par les acteurs eux-mêmes, d’évaluer le respect des obligations de moyens que la loi leur demande d’atteindre. Dans ce modèle de régulation qui se veut ainsi coopératif, l’ensemble des parties prenantes (régulateurs, plateformes, pouvoirs publics, associations, etc.) doivent apprendre à réguler ensemble : ils sont les nouveaux dépositaires de cet intérêt commun à garantir un environnement numérique sûr pour nos enfants et nos adolescents. Ensemble, nous nous donnons les MOYENS d’agir.

Pour finir, il nous faut parler du CADRE le mieux approprié.
Ce nouveau modèle de régulation des contenus est aussi plus européen que jamais: la coopération entre régulateurs de l’Union européenne, au sein de l’ERGA ainsi qu’à un niveau bilatéral, doit se montrer plus efficace, c’est un préalable indispensable. J’en profite, d’ailleurs, à ce sujet pour souligner la convergence de vues, sur ces sujets, entre le CSA et la représentation des autorités allemandes à l’ERGA, la DLM et son commissaire aux affaires européennes, monsieur Tobias Schmid. Messieurs Maistre et Schmid sont tous les deux convaincus de la nécessité de coopérer entre régulateurs et nous nous efforçons conjointement, cette année, d’améliorer le fonctionnement interne de l’ERGA de sorte qu’il soit en mesure de répondre plus efficacement aux défis posés par la régulation de service qui opèrent par-delà les frontières nationales.

C’est pourquoi le CSA considère que le cadre européen est bien évidemment un cadre pertinent de régulation. Il est pleinement engagé à contribuer au succès de l’application de la nouvelle directive SMA qui est en cours de transposition à l’échelle européenne. Cette nouvelle directive, qui renforce les obligations de protection des mineurs pour les « plateformes de partage de vidéos », est un socle de règles communes que nous devrons nous efforcer d’appliquer ensemble, de la manière la plus cohérente et ambitieuse possible, en essayant de surmonter nos quelques divergences là où elles existent. Il nous faut, pour cela, renforcer notre compréhension mutuelle des dispositions juridiques que les plateformes auront à mettre en œuvre. A cet égard, la coopération, multilatérale au sein de l’ERGA ou bilatérale, a toute sa place. Elle est même déjà opérationnelle.

Je voudrais, pour finir, également dire un mot de l’articulation entre cadre européen et cadre national. Comme je l’indiquais un peu plus tôt, les pouvoirs publics, français mais pas seulement, ont déjà pris conscience de la nécessité d’accroître la responsabilité de certaines grandes plateformes de contenus numériques qui, de par leur rôle puissant dans la dissémination des contenus et, plus généralement, en raison de leur place prise dans la vie sociale quotidienne, sont appelées à assumer un rôle plus significatif vis-à-vis des contenus qu’elles hébergent. Ces réflexions ont donné lieu en France, pour l’instant, à deux principales initiatives législatives :
– tout d’abord une loi, adoptée en décembre 2018, sur la lutte contre la diffusion de fausses informations qui impose notamment aux plateformes un devoir de coopération avec le CSA : ce dernier est appelé à superviser les dispositifs mis en place pour réduire la prolifération de fausses nouvelles ;
– ensuite, une proposition de loi, qui n’a pas encore été définitivement adoptée, qui prévoit, sur le même principe, que le CSA évalue l’efficacité des dispositifs mis en place par les plateformes pour retirer des contenus à caractère haineux dans des délais rapides – avec des pouvoirs étendus en termes de recommandations, de suivi et, le cas échéant, de sanction.

On le voit bien, cette prise de conscience des autorités publiques les incite à prendre des dispositions au niveau national.  L’architecture de la régulation des médias en ligne, si elle veut continuer à remplir efficacement les objectifs de liberté et de protection qu’elle poursuit – y compris la protection du jeune public – devra aussi tenir compte de cette réalité contemporaine et s’efforcer d’atteindre une forme de symbiose entre l’échelon national et européen.